Un peu d’histoire
Par Guy Evéquoz, ancien champion d’escrime
et fondateur du Cercle d’escrime de Sierre
L’escrime et le Valais
L’escrime moderne fait son apparition dans le Valais vers la fin de la deuxième guerre mondiale. D’abord, presque sous la forme d’un canular : un quidam avait mis une annonce dans le journal et donnait rendez-vous à la Planta aux futurs passionnés de ce sport. Un des participants raconte que le « moniteur » avait peut-être appris les parades dans le dictionnaire… L’expérience a fait long feu, mais la première étincelle avait jailli. Puis est venu Maître Francis Duret personnage haut en couleur qui mériterait à lui seul tout un article.
Entre temps les jeunes adeptes valaisans profitèrent de leur passage à l’université pour se perfectionner hors canton, si bien que l’on retrouve dans l’équipe suisse un Michel Evéquoz troisième au Championnat du Monde à l’épée par équipe en 1953 et notre regretté Charles-Albert Ribordy aux Jeux Olympiques de Rome en 1960.
A cette époque, aidés de notre confrère André Spahr, ils gagnent leur premier titre national à l’épée pour un club valaisan, la Société d’Escrime de Sion. L’escrime sera le premier sport valaisan à remporter une médaille au JO d’été, toujours à l’épée par équipe : argent en 1972 à Munich, puis bronze en 1976 à Montréal pour les messieurs et – faut-il le rappeler ?- argent en 2000 à Sydney pour les dames avec notre Sophie, plus jeune médaillée suisse de tous les temps.
A relever encore dans l’histoire valaisanne : «Les Trois Mousquetaires » à la Carrière de Collonge en 1987 par le théâtre du Dé ( récidive en 1997 au théâtre du Dé : « D’Artagnan le retour » ).Et surtout la naissance d’un nouveau cercle à Sierre en 1997, suivie l’année suivante, de la création de l’AVES, Association Valaisanne d’Escrime ( l’ « oiseau » a pris son envol ).
L’escrime et les médecins
La médecine a toujours été bien représentée dans le monde de l’escrime, même sur les podiums ; par exemple, le hongrois Fenyvesy médaille d’or à l’épée individuelle au J.O. de Münich en 1972, ou Philippe Boisse, qui a attendu de terminer ses examens de spécialiste en radiologie pour gagner les J.O. de Los Angeles et le championnat du monde l’année suivante. Plus proche de nous Marcel Fischer, 4e au J.O. de Sydney est étudiant en médecine.
Au lieu de la trop longue liste de tous nos confrères bons escrimeurs en Suisse, un clin d’œil à Nicolas Riand, orthopédiste, ancien assistant des hôpitaux valaisans et ancien champion suisse à l’épée par équipe avec Sion.
L’escrime et la médecine
L’escrime est un sujet difficile et mal cerné par la médecine du sport. En effet, la palette des qualités physiques et mentales requises est tellement vaste qu’il est impossible de les maîtriser toutes. De plus, il y a des styles de tireur très différents qui nécessiteraient chacun une approche particulière. Bien sûr les règles de la condition physique de base restent valables, mais seulement comme un minimum requis. A l’appui de ce qui précède, il faut se réjouir de la quasi inexistence du dopage dans ce sport millénaire. La faiblesse relative des enjeux pécuniaires ne suffit pas seule à l’expliquer : à l’escrime, avec le dopage, ce que l’on gagne d’une main on le reperd de l’autre. Exemple : lors d’une Universiade, l’un de mes prédécesseurs qui venait de terminer sa médecine, avait pris un psycho-stimulant pour un match d’élimination directe au fleuret en trois manches de cinq touches contre un japonais qui, en l’absence des pays de l’Est, faisait partie des favoris. Il a gagné l’assaut et n’a pas eu à pâtir d’un contrôle par la suite. Mais pendant les vingt minutes qui ont suivi le match, il tournait comme un forcené dans la salle de compétition. A chaque passage, ses copains lui demandaient : – « dis, donc, tu as fait combien contre le japonais ? « cinq- deux, cinq- deux » répondait-il invariablement. Inutile de dire qu’il n’a plus existé dans le match suivant ni dans le repêchage. Je ne voudrais pas jurer que nos anciens champions n’ont jamais pris de cortisone à une époque où les contrôles n’existaient pratiquement pas, mais je crois que les gains, même à court terme, étaient illusoires.
L’apport de l’escrime à la médecine
A chaque championnat du monde, il y a un congrès médical pour la présentation de travaux d’étude ou de recherche sur l’escrime et les escrimeurs. Je crois qu’un chercheur sur le sport, en manque d’idée, devrait fouiller les compte-rendu de ces congrès. Par exemple en 1974, aux CM de Grenoble, les Allemands avaient présenté un travail sur la brusque accélération du pouls qui précède une attaque, bien avant le départ du mouvement; à l’époque, cette étude avait frappé l’imagination des participants. J’aime bien aussi cette étude des Italiens
présentée en 1987 aux CM de Lausanne, sur leurs juniors sabreurs: ceux qui avaient obtenu les meilleurs résultats étaient ceux qui n’avaient pas amélioré leur endurance au cours de la saison…
Mais s’il ne fallait mentionner qu’une chose , ce serait les travaux de l’actuel médecin de la FIE (Fédération Internationale d’Escrime ), Guy Azémar qui étudie, depuis plus de vingt ans, le phénomène de latéralisation . Comment se fait-il que dans la population se trouve moins de 8% de gauchers, qu’il y en ait 16% au départ des CM et qu’il ne soit pas exceptionnel de retrouver 50 à 75 % en finale ? ( par exemple, aux CM de La Chaux-de-Fonds en 98, cinq gauchers sur six tireurs à la finale Hongrie-France à l’épée masculine). Une observation médicale courante parallèle est la prédominance de la fracture de Pouteau-Colles à gauche. Tout le monde croyait que les gauchers étant moins fréquents, ils avaient plus l’habitude de tirer contre les droitiers que l’inverse. A haut niveau cette explication ne tient pas, puisque la proportion D/G a tendance à s’inverser. L’observation principale de notre collègue est que le gaucher escrimeur typique est croisé : gaucher de la main et droitier de l’œil. (test facile à faire : avec quel œil doit-on regarder dans une lunette ; autre test : viser avec le pouce en fermant alternativement un œil puis l’autre : on est aligné sur le pouce avec lequel on vise ). La poursuite de la recherche a montré que l’œil dominant utilise la vision centrale et l’autre œil la vision périphérique : cette dernière apprécie plus vite le mouvement et le traitement de l’information est plus bref, retour plus rapide aux voies motrices ( meilleur « réflexe » du langage courant). De même, une des élèves de Guy Azémar avait montré récemment que les dix meilleurs joueurs ATP étaient droitiers… mais gauchers de l’œil !
En guise de conclusion
Une maxime d’un sage de l’antiquité : « La musique élève l’âme, l’escrime la trempe ». Et l’un des plus beaux aphorismes hippocratiques confirmé par mon enthousiasme à donner la leçon d’escrime : « L’art est long, la vie est courte ».